« La réappropriation de la monnaie, de son sens, de ce à quoi elle doit servir, c'est une des bases d'un autre monde possible »

Entretien réalisé en avril 2023


Nous sommes allés interroger Julien Kerguillec, maire de Pleyber-Christ et utilisateur du Buzuk depuis bientôt 3 ans.
Crédit photo: Christian Martin.

Pleyber-Christ est devenue en 2020 la première commune du Pays de Morlaix où les élus utilisent le Buzuk, quelles sont les raisons qui ont amené une grande partie du conseil municipal à le faire circuler ?

Julien Kerguillec : « On a eu l'occasion, en début de mandat, de proposer à l'ensemble du conseil municipal de donner du sens à leur indemnité d'élu·e en la recevant en buzuks, en partie pour certains, ou en totalité pour d'autres. On trouvait intéressant de porter cette initiative citoyenne de monnaie locale, et de lui donner plus de sens symboliquement, car c'est une manière d'affirmer que nos indemnités d'élu feront vivre le territoire. 
La distribution des Buzuks est devenue un petit rituel de début de conseil municipal. C'est pratique, ça fonctionne très bien. Et j'ai relayé d'ailleurs ce ressenti aux autres maires de Morlaix Communauté. »

Ah, c’était justement notre prochaine question : si vous deviez convaincre un·e élu·e d’une autre commune à utiliser le Buzuk, que lui diriez vous en quelques mots ?

Julien Kerguillec : « Ce que je trouve intéressant, c'est d'abord la dynamique que cela crée. Cette dynamique, elle apporte du sens, même communalement. On la sent chez les commerçant·es et au niveau de la circulation d'un·e commerçant·e à l'autre.  Les buzuks, je les dépense principalement sur la commune : chez le coiffeur, à la petite épicerie, chez le boulanger maintenant, et puis un peu sur Morlaix de temps en temps. Mais surtout dans les petits commerces de la commune. C'est une dynamique qui me semble simple à mettre en place et qui a du sens au quotidien. »

Les monnaies locales ont été conçues comme un outil au service des territoires et de leur transition écologique et solidaire. Comment verriez vous l’évolution des monnaies locales dans 5 ou 10 ans ?

Julien Kerguillec : « Une grande question ! Ce n'est pas simple... Comment fait-on pour que cela se développe et ne reste pas une niche ? Je n'ai pas forcément la solution miracle. 
Encore une fois, ce que je trouve intéressant, c'est la dynamique. Franchement, je suis déjà satisfait de ce qu'on trouve, par exemple sur ma commune, en termes d'offre et d'utilisation du Buzuk. C'est déjà très varié, on peut en faire beaucoup de choses. J'aimerais que cela se poursuive et puisse progressivement prendre sa place dans le quotidien; c'est un travail de longue haleine. »

Notre mouvement vise à questionner, de prime abord, nos parcours de consommation, mais également à repenser la place de notre économie locale face aux limites sociales et écologiques du système financier mondial. Les acteurs du territoire peuvent ils jouer un rôle à leur échelle pour transformer les règles du jeu ?

Julien Kerguillec : « Clairement pas toutes les règles… Cependant, je trouve intéressante toute la dimension de réflexion et de formation que vous proposez. Réflexion sur notre utilisation pratique de la monnaie et formation sur le fonctionnement actuel du système monétaire. Se poser ces questions, c'est déjà une belle étape. Comment fonctionne une monnaie aujourd'hui ? Quels sont les flux financiers ? Qu'y-a-t-il derrière tout ce qu'on ne questionne pas ? 
Cette réflexion que permet la monnaie locale, je la trouve très riche parce que politiquement, c'est une question cruciale. C'est sans doute une des motivations principales de mon engagement politique : essayer d’inverser cette pyramide, où le système financier conditionne tout le reste, de façon descendante. Et remettre le politique, au sens noble du terme, au dessus. Parce que tout cela, c’est des institutions, des créations humaines. Ça a été fait, ça peut être défait. Tout est politique là dedans.
Et tous les fonctionnements d'aujourd'hui sont questionnables. On ne le fait pas assez, et on le voit sur de nombreux sujets. En ce moment par exemple, en tant que maire, je suis confronté aux évolutions aberrantes des prix de l'électricité, du gaz, qui ont été gagnés progressivement par un système concurrentiel de plus en plus financiarisé. A mon sens, c'est choquant, ce n'est pas normal. Pourtant ce n'est pas venu de nulle part : ça s'est fait au cours d'une libéralisation progressive, et c'est pareil pour les matières premières agricoles par exemple. Je trouve intéressante la dynamique des monnaies locales, parce qu'elle permet de se questionner et d'aborder ces sujets-là. En ce sens, votre dynamique de formation des particuliers et des élus me semble vraiment cruciale. »

En effet, nous souhaitons consacrer de plus en plus de temps sur l’éducation au système monétaire et financier...

Julien Kerguillec : « C'est pas simple. Ou plutôt, c'est à la fois très simple et pas simple. Il est tellement surprenant et contre-intuitif de comprendre que les banques commerciales peuvent créer de la monnaie à partir de "rien". Je crois que la réappropriation de la monnaie, de son sens, de ce à quoi elle doit servir, c'est une des bases d'un autre monde possible ! »

La monnaie est aujourd’hui créée par des entreprises privées qui répondent prioritairement à des exigences de rentabilité, au détriment de l’intérêt général. Que pensez vous de la responsabilité des banques dans le financement de la transition écologique et sociale ?

Julien Kerguillec : « La responsabilité des banques est très grande; il faudrait la questionner davantage. Et là encore, c'est politique. Il faudrait pouvoir, je crois, réglementer plus drastiquement le fonctionnement des banques, ce qu’elles financent, et comment elles peuvent porter les investissements publics nécessaires aux transitions sociétales indispensables. C'est une question déterminante au vu des enjeux actuels. »

Merci à Julien Kerguillec de nous avoir accordé cet entretien